En bref
Des chercheurs ont étudié les effets du don de sang répété sur les cellules souches hématopoïétiques. Ils ont découvert que certains donneurs fréquents développent des mutations spécifiques dans le gène DNMT3A, favorisées par l’augmentation d’érythropoïétine liée à la perte de sang. Ces mutations, loin d’être dangereuses, semblent au contraire mieux tolérées et pourraient révéler une stratégie d’adaptation du corps au stress régulier.
Pourquoi cette étude nous concerne tous
Le sang sauve des vies. Mais donner régulièrement son sang – parfois plus de 100 fois dans une vie – est-il sans impact sur la santé ? Cette étude, menée sur 429 hommes âgés de plus de 60 ans, compare deux groupes : des donneurs réguliers (plus de 100 dons) et des donneurs occasionnels (moins de 10 dons). À la clé : une plongée inédite dans les cellules souches sanguines et dans les effets à long terme du don de sang sur notre organisme.
Ce que révèle l’étude scientifique
Pas de risque accru de mutation globalement… mais un profil distinct
- Le taux global de « clonal hematopoiesis » (CH), c’est-à-dire l’émergence de clones de cellules sanguines porteurs de mutations, est similaire chez les donneurs fréquents et les occasionnels.
- Cependant, les mutations dans le gène DNMT3A (un gène clé dans la régulation de l’ADN) sont différentes : les donneurs fréquents ont des mutations qui altèrent modérément la fonction du gène, contrairement aux mutations connues pour être associées à la leucémie.
L’érythropoïétine, un acteur central
- Lors d’un don de sang, l’organisme augmente la production d’érythropoïétine (EPO), une hormone qui stimule la production de globules rouges.
- Cette EPO favorise l’expansion de certains clones porteurs de mutations DNMT3A particulières (comme W305*, S663fs, E733*) retrouvées chez les donneurs fréquents.
- Ces mutations se distinguent des mutations leucémiques classiques (R882) qui, elles, prolifèrent sous l’effet de signaux inflammatoires (comme l’IFNγ), et non sous l’effet de l’EPO.
Un comportement cellulaire rassurant
- Les mutations EPO-réactives n’induisent pas de biais anormal dans la production des différentes lignées de cellules sanguines.
- Contrairement aux mutations leucémiques, elles ne favorisent pas excessivement les lignées myéloïdes (associées aux leucémies).
- Les modèles in vitro et in vivo confirment que ces mutations sont stables, équilibrées et ne présentent pas les caractéristiques agressives des mutations pathogènes.
Ce que nous pouvons en tirer pour notre santé
- Donner son sang reste sûr.
- Cette étude confirme que les donneurs réguliers ne présentent pas plus de mutations dangereuses que les autres.
- Notre environnement modifie notre biologie en profondeur.
- L’exposition répétée à un stress (ici, la perte de sang et l’augmentation d’EPO) peut favoriser certains profils cellulaires — sans que cela soit forcément négatif.
- Les mutations ne sont pas toutes mauvaises.
- Certaines peuvent représenter une forme d’adaptation, révélant les capacités d’évolution somatique de notre organisme pour s’ajuster à des pressions externes.
- Vers des thérapies plus ciblées.
- Comprendre quelles mutations répondent à quels signaux (EPO, inflammation, etc.) ouvre la voie à des stratégies thérapeutiques différenciées en hématologie et oncologie.
Conclusion
Loin de fragiliser le système sanguin, le don régulier de sang met en lumière une forme de sélection naturelle silencieuse, où certaines mutations bénignes s’adaptent à un environnement spécifique.
Le micro-environnement physiologique des donneurs fréquents (stimulation régulière de l’hématopoïèse par EPO, sans inflammation chronique) pourrait favoriser des clones cellulaires plus stables, mieux tolérés, et donc moins associés à un risque de transformation maligne.
Cette étude passionnante illustre à quel point notre biologie est en constante interaction avec nos choix et notre mode de vie — et qu’elle peut, parfois, s’y adapter de façon étonnamment harmonieuse.
Source
Karpova, D. et al. (2025). Clonal Hematopoiesis Landscape in Frequent Blood Donors. Blood. https://ashpublications.org/blood/article/doi/10.1182/blood.2024027999/535979/Clonal-Hematopoiesis-Landscape-in-Frequent-Blood